DualCorps : le projet
Le projet arts-sciences DualCorps, fruit de la collaboration entre Claire Sistach et Soizic Sanson (association Eunice VSG), est une immersion intensive dans un monde simulé, OpenSim.
DualCorps a été choisi pour s’inscrire dans les projets du Labex Arts-H2H. Plusieurs institutions sont partenaires et collaboratrices : le Collège de France (chaire de neurophysiologie), l’Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs (axe Spatial Media), l’université Paris 8 (CITU/Paragraphe).
DualCorps est un projet expérimental à la croisée de l’art numérique, de la performance et de la recherche-action. Le coeur du projet est une recherche Art-Science autour de la cyber-gémélleité, du poids des données dans la création des identités numériques, et de la représentation de ces dernières. Les réalisations s’articulent autour d’une performance immersive où naîtra le DualCorps et d’un ensemble d’installations interactives venant enrichir la recherche.
Les avatars numériques des mondes simulés nous permettent d’entretenir des relations sociales sur le réseau, mais aussi de s’y investir profondément grâce à la richesse des environnements, des interactions et des possibilités de personnalisation de son double de pixels.
Identification, projection, dédoublement sont les quelques mots-clés de nos relations fascinantes aux avatars. L’expérience sensible, telle que nous la connaissons, y est convertie en données, puis en information. La somme des données informationnelles d’un avatar numérique, émergeant à la fois du choix de personnalisation conscient du “joueur réel”, de l’expérience et des interactions sociales avec les autres avatars, façonne peu à peu sa singularité individuelle. L’une des spécificités des mondes simulés réside aussi dans le fait qu’un joueur peut posséder plusieurs avatars, soit plusieurs (in)dividualités.
La problématique principale de DualCorps pourrait se formuler de cette manière : quel est le poids des données dans l’émergence de l’identité de l’avatar, dans sa construction identitaire ?
Comme le souligne l’artiste multimédia Yann Minh : “Les relations sociales en temps réel avec d’autres humains, via nos avatars numériques, favorisent l’apparition d’une forme de pluralisme identitaire. En per- mettant des relations sociales et émotionnelles fortes et structurantes sous une forme différente de notre apparence physique, les avatars renforcent le « dividualisme », c’est-à-dire la révélation ou genèse de nos multiples identités.”
Pour étudier cette question, nous avons pris le parti de faire appel à la méthode de la recherche-action (action délibérée de transformation de la réalité ; recherches ayant un double objectif : transformer la réalité et produire des connaissances concernant ces transformations).
C’est donc sous forme d’une immersion intensive que nous avons choisi de documenter notre recherche : Claire Sistach et Soizic Sanson seront connectées durant deux semaines, toute la journée, dans un univers simulé en 3D temps réel tel que Open Sim et coupées de leur environnement « réel ». En effet, elles seront enfermées chacune dans un lieu neutre durant toute la performance sans aucun contact extérieur (elles ne veront personnes et n’auront aucun contact direct ou indirect que ce soit par téléphone ou par internet avec leur environnement ordinaire). Leur seule fenêtre vers le monde et occupation possible sera celle vers l’univers du métavers Open Sim.
De plus, afin d’accélérer le processus de création d’identité de l’avatar, nous avons choisi de faire appel à une singularité technique : Claire et Soizic évolueront dans le monde via deux avatars jumeaux, liés par la même base de données : toutes les actions de l’une se répercuteront sur l’autre. Il s’agira donc de la fusion de leurs deux identités bien distinctes (Claire / Soizic) au sein de deux avatars similaires (avatar 1 / avatar 2), qui posséderont la même enveloppe corporelle de pixel, tout comme les mêmes données, et ce à chaque instant de leur évolution. Autrement dit, il s’agira d’une expérience / performance dans laquelle les avatars possèderont la même apparence, le même inventaire, les mêmes relations et auront accès aux mêmes échanges et discussions avec d’autres avatars. Seuls leurs mouvements, déplacements ainsi que possibilités de connexion et de déconnexion resteront indépendants. Afin de recueillir un maximum de données pertinentes et de réduire le “bruit”, le protocole d’immersion de deux semaines devra s’opérer de manière rigoureuse et similaire pour les deux joueuses. Enfin, elles porteront des capteurs physiologiques et seront soumises quotidiennement à plusieurs questionnaires permettant ainsi de suivre le fil émotionnel et narratif de leur aventure et de leur métamorphose. Une interface simple permettra de signifier leur état émotionnel à chaque instant de l’expérience.
La question du double, du jumeau, de l’identité gémellaire est ici centrale, et cette mise en oeuvre tend à expérimenter cette fusion et confusion identitaire, telle qu’illustrée, entre autres, par l’oeuvre « Faux-semblants « de David Cronenberg.
Cette méthode de travail, la recherche-action via une immersion intensive, permet de vérifier de manière condensée les hypothèses produites en amont, ce qui tend à accroître l’efficacité de l’expérience et à accélérer l’étude de la construction de l’identité de l’avatar.
L’expérience de Mark Farid, encore non réalisée à ce jour, est relativement proche de nos questionnements. Durant quatre semaines, cet artiste britannique va vivre immergé via un casque Oculus rift, mais la réalité de quelqu’un d’autre, préalablement filmée. « Je pense que nos réalités et nos personnalités sont beaucoup plus influencées par l’acquis que par l’inné. « Vais-je commencer à réellement ressentir ce que “l’Autre” ressent ? Vais-je arrêter de penser comme si je vivais les expériences de quelqu’un d’autre, et commencer de voir mes expériences comme les siennes ?”
Comment représenter
l’émergence de l’identité numérique dans les métavers ? Quels effets
neuphysiologiques engendre cette identité émergente, dans le cadre d’une
immersion ?
C’est pour répondre à ces questions que nous avons élaboré les deux
phases de réalisation du projet DualCorps, et mis en place plusieurs
collaborations.
Alain Berthoz, professeur
honoraire à la chaire de neurophysiologie du Collège de France, prend
part à l’expérience. Un protocole a été mis au point afin que des
données scientifiques puissent être extraites de l’immersion. C’est à
l’aide de plusieurs capteurs de données physiologiques qu’il sera
possible de récupérer des données brutes de l’immersion.
Egalement, le cyber-anthropologue Michel Nachez de l’université de
Strasbourg effectuera un suivi de l’expérience par une enquête in-world.
En effet, il sera connecté lui aussi dans la sim du projet, via un ou
plusieurs avatars inconnus à l’avance, et il aura un rôle d’observateur
discret et n’interagissant pas avec les avatars du DualCorps à propos de
l’expérience.
Trois groupes de données
émergeront donc de l’expérience : les données physiologiques, les
données numériques (issues des avatars de l’expérience) et les données
subjectives.
Ces données seront traitées dans le cadre d’un travail d’analyses
scientifiques par nos différents partenaires. En parallèle, elles seront
traitées dans l’installation finale, une installation immersive de
“conclusion” de l’expérience, qui sera proposée au public. Sous une
forme poétique, esthétique, immersive et interactive, cette installation
rendra visible l’émergence de l’identité du DualCorps, grâce aux
données subjectives et objectives collectées durant l’immersion de deux
semaines.
Un projet de Claire Sistach et Soizic Sanson
Équipe de réalisation : Melanie Thielker, Dionysis Zamplaras, Ponnara Ly